Berceuses, rondes et comptines pour favoriser le développement social des tout-petits

09/05/2018 11:35:22

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Dès sa naissance, le nourrisson cherche à entrer en relation avec ceux qui en prennent soin. Ses vocalisations, ses premiers sourires et ses babillages sont des comportements qui en témoignent. En ce qui concerne le parent, il exprime aussi le désir d’interagir avec son enfant. De façon spontanée, il entreprend de multiples échanges et répond à l’enfant. Plusieurs recherches ont révélé que la musique constitue un apport favorable à ces premières interactions. Nous vous présentons ici comment la musicalité, les chansons, les comptines et le mouvement sont la source d’innombrables apprentissages pour le tout-petit.

 

Utiliser la voix pour interagir et favoriser la communication avec l’enfant

Les éléments prosodiques du langage, qu’on nomme prosodèmes, se réalisent en faisant intervenir l’accentuation, le rythme, le ton, le débit et l’intonation (Mertens, 2008). Avez-vous déjà remarqué que ces éléments sont différents lorsque vous vous adressez à un bébé? Cela s’explique, entre autres, par le fait que la prosodie que l’adulte utilise pour communiquer avec le nourrisson est empreinte de musicalité. De façon intuitive, le parent adopte des motifs rythmiques répétitifs et un tempo lent. Il fait de plus longues pauses entre les phrases et élève la hauteur de sa voix. Ses énoncés présentent des contours mélodiques simples, unidirectionnels (sons ascendants, descendants ou plats) ou bidirectionnels (forme de cloche ou de U). La plupart du temps, ces glissements mélodiques, doux et continus, se font sur une syllabe dont la voyelle est prolongée (Papoušek, 1995). Ainsi, de façon dynamique, le parent modifie la prosodie de sa voix lorsqu’il s’adresse à son tout-petit. Cela aiderait l’enfant à rester attentif, à s’éveiller, à s’apaiser ou à se calmer lors d’un moment de détresse (Shenfield, Trehub, & Nakata, 2003; Corbeil, Trehub, & Peretz, 2016).

La recherche indique qu’à la naissance, le bébé démontre une préférence pour la voix chantée de sa mère (Nakata & Trehub, 2004). Dès l’âge de six mois, il semble tout aussi intéressé par la voix chantée d’une étrangère (De l’Étoile, 2006). Cet intérêt serait plus marqué si la chanson que lui propose l’étrangère est issue du répertoire familial (Mehr, Song, & Spelke, 2016; Mehr & Spelke, 2017). L’intérêt serait moindre dans le contexte où la chanson aurait plutôt été préalablement présentée sous la forme d’un enregistrement (Cirelli, Trehub, & Trainor, 2018). Autrement dit, le jeune enfant à qui le parent a chanté une chanson sera plus attentif aux autres personnes qui la lui chanteront ultérieurement.

 

Avoir recours aux comptines et aux chansons pour encourager le développement des comportements prosociaux

En plus d’encourager l’interaction entre l’enfant et l’adulte, chanter favoriserait l’adoption de comportements prosociaux. Une équipe de recherche de l’Université de Toronto a récemment démontré que les jeunes enfants (14 mois) à qui l’on récite une comptine sont, par la suite, plus enclins à aider leur interlocuteur (Cirelli & Trehub, 2017). Lors de cette recherche expérimentale, 54 enfants ont été aléatoirement divisés en 3 groupes. Assis sur les genoux de leur mère et faisant face à un étranger, chaque enfant était invité à participer à l’une des trois tâches suivantes : 1) manipuler un livre en compagnie de sa mère alors que l’étranger regardait son propre livre (groupe contrôle); 2) écouter une chanson chantée par l’étranger; 3) écouter une comptine récitée par l’étranger. Après l’intervention (d’une durée de 2 minutes 30 secondes), une tâche visant à mesurer la prosocialité de l’enfant était administrée. Par comparaison aux enfants du groupe contrôle, ceux avec qui l’étranger avait interagi au moyen de la chanson ou de la comptine adoptaient plus de comportements d’entraide par la suite. Plus précisément, les enfants à qui l’on avait proposé une comptine étaient ceux chez qui le plus grand nombre de comportements prosociaux étaient observés (Cirelli & Trehub, 2017). Il est possible d’en déduire que les chansons, et plus particulièrement les comptines, sont des pratiques éducatives à favoriser, tant à la maison qu’en milieu de garde.

 

Bercer, bouger et danser pour favoriser le développement socioaffectif

Bercer son enfant est probablement l’un des premiers gestes qu’est amené à faire un parent. La régularité, la prévisibilité et la proximité proposée à l’enfant lors de ce moment réconfortant lui permettent de développer son sentiment de sécurité. De plus, la structure de la musique facilite l’autorégulation des comportements de l’enfant et le rend plus disponible aux interactions proposées (Cirelli, Wan, Spirelli, & Trainor, 2017; Cirelli, 2018). Porter son enfant contre soi et bouger au son de la musique est également recommandé. En effet, un nombre grandissant d’études suggèrent que le fait de bouger en synchronie favorise l’adoption de comportements prosociaux (Cirelli, Einarson, & Trainor, 2014; Cirelli & Trehub, 2017). On parle d’activité en synchronie lorsque l’on demande à deux personnes de bouger de façon simultanée, en maintenant une pulsation établie. Il est possible d’encourager les activités en synchronie pendant toute la petite enfance. Par exemple, dès l’âge de 2 ½ ans, l’enfant peut jouer sur un tambour en synchronie avec un autre. Vers 4 ans, il peut marcher ou frapper la pulsation d’une musique de tempo modéré. Il peut maintenir la pulsation en frappant dans ses mains, sur ses cuisses ou à l’aide de bâtons rythmiques.

 

Conclusion

Les recherches démontrent que la musicalité teinte nos interactions avec le nourrisson dès la naissance. La pratique de chansons et de comptines favorise le niveau d’attention de l’enfant et encourage l’adoption de comportements prosociaux. De façon complémentaire, bouger au son de la musique permet à l’enfant de s’affilier aux personnes qui prennent soin de lui et à ses amis. Il semble donc souhaitable d’intégrer la pratique d’activités musicales, autant en milieu familial qu’en contexte éducatif, car chanter, bouger et coordonner sa voix et ses mouvements sont des petits gestes simples qui ont le pouvoir de favoriser le développement social.


 

Rérérences

Cirelli, L. K. (2018). How interpersonal synchrony facilitates early prosocial behavior. Current opinion in psychology, 20, 35–39.

Cirelli, L. K., Einarson, K. M., & Trainor, L. J. (2014). Interpersonal synchrony increases prosocial behavior in infants. Developmental Science, 17(6), 1003–1011.

Cirelli, L. K., & Trehub, S. E. (2017, Juillet). Infant prosocial behavior toward singing and non-singing partners. lors de la 2017 Biennial Meeting of the Society for Music Perception and Cognition, San Diego, CA.

Cirelli, L. K., Trehub, S. E., & Trainor, L. J. (2018). Rhythm and melody as social signals for infants. Annals of the New York Academy of Sciences, 1-7. https://doi.org/10.1111/nyas.13580

Cirelli, L. K., Wan, S. J., Spinelli, C., & Trainor, L. J. (2017). Effects of interpersonal movement synchrony on infant helping behaviors: Is music necessary? Music Perception: An Interdisciplinary Journal, 34(3), 319-326.

Corbeil, M., Trehub, S. E., & Peretz, I. (2016). Singing delays the onset of infant distress. Infancy, 21(3). 373-391. https://doi.org/10.1111/infa.12114

De l’Étoile, S. K. (2006). Infant behavioral responses to infant-directed singing and other maternal interactions. Infant Behavior and development, 29(3), 456-470.

Mehr, S. A., Song, L. A., & Spelke, E. S. (2016). For 5-month-old infants, melodies are social. Psychological Science, 27(4), 486-501. https://doi.org/10.1177/0956797615626691

Mehr, S. A., & Spelke. E. S. (2017). Shared musical knowledge in 11-month-old infants. Developmental Science, 21(3), e12542. https://doi.org/10.1111/desc.12542

Mertens, P. (2008). Syntaxe, prosodie et structure informationnelle : une approche prédictive pour l’analyse de l’intonation dans le discours. Travaux de linguistique, 56(1), 97-124. doi: 10.3917/tl.056.0097

Nakata, T., & Trehub, S. E. (2004). Infants’ responsiveness to maternal speech and singing. Infant Behavior and Development, 27, 455-464. Repéré à http://weblb1.erin.utoronto.ca/infant-child-centre/sites/files/infant-child-centre/public/shared/sandra-trehub/003.pdf

Papoušek, M. (1995). Le comportement parental intuitif, source cachée de la stimulation musicale dans la petite enfance. Dans I. Deliège & J. A. Sloboda (Éds), Naissance et développement du sens musical (pp. 101-130). Paris : Presse Universitaire de France.

Shenfield, T., Trehub, S. E., & Nakata, T. (2003). Maternal singing modulates infant arousal. Psychology of Music, 31(4), 365-375. https://doi.org/10.1177/03057356030314002

Droit d’auteur: famveldman / 123RF Banque d’images

Auteurs: Jonathan Bolduc et Aimée Gaudette-Leblanc

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