Comment vraiment tenir compte des connaissances grammaticales antérieures des élèves : une méthode d’enseignement

18/10/2017 14:26:49

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Dans le billet précédent, nous avons traité de l’importance de tenir compte des connaissances antérieures des élèves tout au long de l’enseignement de la grammaire pour les amener à faire de nouveaux apprentissages. Pour y arriver, nous avons suggéré l’utilisation de méthodes basées sur des techniques d’enseignement inductives, dont la médiation sociocognitive des apprentissages. C’est cette méthode que nous vous présentons dans ce billet[i].

 

Un changement de posture de l’enseignant… et des élèves

La médiation des apprentissages (Barth, 2013a, 2013b et 2004) fait référence à l’action de l’enseignant qui se place entre les connaissances actuelles des élèves et les connaissances à construire pour favoriser les apprentissages. Ainsi, tout au long d’une séquence didactique, l’enseignant médiateur invite les élèves à exprimer leurs connaissances. Il guide leurs réflexions et leurs observations. Ce faisant, il amène les élèves à tisser des liens entre leurs connaissances antérieures et les nouvelles. Cette médiation se veut sociocognitive, car l’enseignant tient aussi compte de la façon d’apprendre et d’interagir de ses élèves lors de sa médiation. La métacognition occupe donc une place importante dans la séquence didactique, et ce, du début à la fin de l’enseignement

Dans ce contexte, la dynamique d’enseignement et d’apprentissage change. En effet, le rôle de l’enseignant n’est plus seulement de transmettre des connaissances dans une leçon magistrale donnée conformément à ce qui a été planifié. Ainsi, alors que dans un enseignement plus traditionnel de la grammaire, le discours de l’enseignant est prépondérant, dans la médiation sociocognitive des apprentissages, les constantes interactions en classe laissent une grande place au discours des élèves. Conséquemment, les élèves ne sont plus des récepteurs passifs des connaissances, comme c’est le cas dans l’enseignement plus traditionnel de la grammaire (Lord, 2012), mais bien des agents actifs de leurs apprentissages.

 

Déroulement d’une séquence didactique suivant les principes de la médiation sociocognitive des apprentissages

La médiation sociocognitive des apprentissages consiste essentiellement à présenter des séries d’exemples illustrant une notion aux élèves; ceux-ci les observent et font des hypothèses sur les caractéristiques de cette notion. Toutes les hypothèses sont notées au tableau. D’autres exemples s’ajoutent pour tester les hypothèses et les valider. Ce travail se poursuit jusqu’à ce que la classe puisse énoncer les caractéristiques obligatoires de la notion à l’étude.

La démarche que nous proposons est celle de Barth (2013a, 2013b et 2004), à laquelle nous avons inséré une étape de plus. Elle se déroule en quatre phases : (1) l’activation des connaissances; (2) l’observation et l’exploration; (3) la clarification et la validation; (4) l’abstraction. Quelques exemples relatifs à l’enseignement du sujet en 1re secondaire suivant cette méthode sont donnés ci-dessous. Il est à noter que la séquence didactique complète peut être consultée dans Beaulne (2016).

 

  • La phase d’activation des connaissances

L’objectif de la phase d’activation des connaissances est de faire un premier inventaire des connaissances des élèves sur la notion. Cette phase n’est donc nécessaire que si la notion a déjà été partiellement enseignée auparavant. Ainsi, pour l’enseignement de la notion de sujet en 1re secondaire (notion à l’étude depuis le 2e cycle du primaire), l’enseignant pose les deux questions suivantes à ses élèves : qu’est-ce qu’un sujet? et comment identifie-t-on le sujet? Toutes les connaissances révélées par les élèves sont inscrites au tableau :

 

  • La phase d’observation et d’exploration

Le but de cette phase est de déterminer les caractéristiques obligatoires de la notion étudiée. Dans le cas du sujet, il y en a quatre :

Pour trouver ces caractéristiques, l’enseignant amène ses élèves à observer des exemples oui et des exemples non de la notion, à faire des hypothèses sur les caractéristiques de la notion et à éliminer celles exprimées lors de la phase actuelle ou précédente qui ne sont pas observables dans tous les exemples oui.

Avant d’aller plus loin, précisons ce qu’on entend par un exemple oui et un exemple non. L’exemple oui illustre la notion. Cela signifie que toutes les caractéristiques obligatoires de la notion y sont observables. Des exemples oui de la notion de sujet sont des phrases dans lesquelles le sujet est souligné, par exemple : Ce matin, l’autobus scolaire suit son parcours habituel. L’exemple non illustre autre chose que la notion. Il peut ne contenir aucune des caractéristiques obligatoires de la notion. Il peut aussi en compter une ou plusieurs, mais il ne les contient jamais toutes. Dans les exemples non, c’est un autre élément de la phrase qui est souligné, par exemple : Chaque jour, Maude attend l’autobus.

Les observations effectuées sur les exemples oui et les exemples non permettent donc de proposer de nouvelles hypothèses, de renforcer une hypothèse préalablement émise ou de l’éliminer. Il ne faut pas oublier que les hypothèses exprimées par les élèves s’appuient sur des connaissances antérieures, de là l’importance de toujours s’assurer de bien comprendre ce que comprend un élève qui propose une hypothèse (Barth, 2013a). Au besoin, l’enseignant questionne l’élève pour lui faire préciser sa pensée et pour voir sur quelle connaissance s’appuie son propos.

Un élément primordial à considérer est d’accueillir toutes les hypothèses des élèves. Il est essentiel de créer un climat de confiance où chacun peut s’exprimer et se sentir à l’aise de le faire sans peur d’être jugé. Or ce n’est pas toujours facile. En effet, certaines hypothèses paraissent non recevables parce qu’elles se rapportent à des connaissances inexactes ou parce qu’elles semblent farfelues. L’enseignant doit alors se rappeler que les élèves sont en apprentissage et qu’il doit les guider de manière à ce qu’ils constatent eux-mêmes les limites ou l’inexactitude de leurs connaissances. Ces hypothèses disparaitront donc du tableau au cours des observations.

Pour amener les élèves à éliminer certaines hypothèses, et ainsi remettre en question certaines connaissances inexactes ou partiellement exactes qu’ils ont construites, l’enseignant présente des exemples permettant d’en tester les limites. Par exemple, si des élèves mentionnent que le sujet fait l’action exprimée par le verbe, l’enseignant peut proposer des exemples comme :

  • La police arrêtera les cambrioleurs. (exemple oui)
  • Les cambrioleurs seront arrêtés par la police. (exemple oui)
  • Les cambrioleurs seront arrêtés par la police. (exemple non)

Dans le cas où des élèves mentionneraient que le sujet est un GN, des exemples comme les suivants peuvent être proposés :

  • Éternuer demande énormément d’énergie. (exemple oui)
  • Elle me surprend beaucoup. (exemple oui)
  • Écoute Marilyne. (exemple non)

En testant leurs hypothèses, les élèves s’aperçoivent que les connaissances exprimées ne sont pas toujours vraies :

- le sujet ne fait pas toujours l’action exprimée par le verbe (et le verbe n’exprime pas toujours une action, par ailleurs; un corpus d’exemples observés lors de l’étude du verbe pourra permettre de déconstruire cette connaissance peu opérationnelle);

- le sujet peut être un groupe verbal infinitif ou un pronom (sans compter qu’un GN n’est pas forcément sujet).

Ils voient ainsi qu’il n’est pas productif de retenir certaines hypothèses.

Pour présenter tous ces exemples, il est utile de les avoir déjà prévus. Ainsi, lors de la planification de la séquence didactique, l’enseignant doit tenter d’anticiper les connaissances inexactes ou partiellement exactes que les élèves pourraient exprimer afin de préparer des séries d’exemples (oui et non) qui les amèneront à constater que ces connaissances ne sont pas fiables.

 

  • La phase de clarification et de validation

Cette phase vise à vérifier la compréhension des élèves de la notion étudiée et à les amener à en préciser certains aspects au besoin. Pour ce faire, de nouveaux exemples sont présentés aux élèves, mais cette fois-ci, ils ne sont pas identifiés comme étant des exemples oui ou des exemples non : ce sont les élèves qui ont à le déterminer. Ils doivent évidemment justifier leur choix, ce qui implique de rappeler chaque fois les caractéristiques obligatoires de la notion (Barth, 2013b).

Pour la notion de sujet, des phrases comme les suivantes pourraient être proposées aux élèves : Cette jeune Italienne apprend présentement le français. Les lundis, ses cours débutent à dix heures. Les élèves doivent indiquer que la première est un exemple oui en rappelant les caractéristiques du sujet trouvées durant la phase d’observation et d’exploration. Ils doivent également reconnaitre que la deuxième phrase est un exemple non en précisant les caractéristiques qui ne respectent pas celles d’un sujet.

Lors de cette phase, l’enseignant valide les réponses des élèves ou les aide à préciser les caractéristiques obligatoires de la notion.

 

  • La phase d’abstraction

Dans cette phase, l’enseignant vérifie si les élèves ont bien construit les connaissances relatives à la notion étudiée et s’ils sont capables d’en effectuer le transfert dans d’autres contextes. Pour ce faire, l’enseignant peut soumettre de nouveaux exemples à identifier comme des exemples oui ou des exemples non, avec justification, comme lors de la phase précédente. Il peut aussi soumettre des phrases dans lesquelles les élèves doivent eux-mêmes souligner le sujet en justifiant leur identification. Ensuite, il peut demander aux élèves de trouver des exemples dans des écrits autour d’eux (romans, journaux, revues, etc.) ou de créer leurs propres exemples.

 

Une démarche qui demande du temps

Une démarche inductive comme celle proposée ici exige plus de temps qu’une leçon de grammaire traditionnelle. Ce n’est pas surprenant puisque cette démarche génère plus d’interactions en classe. Elle demande donc un réaménagement de la planification de l’enseignement. Mais quand on sait qu’un tel enseignement peut avoir des effets plus favorables sur les apprentissages grammaticaux des élèves (Beaulne, 2016), on peut dire que le jeu en vaut la chandelle.

 

 

Références

Barth, B.-M. (2004). Le savoir en construction. Paris : Retz – S.E.J.E.R.

Barth, B.-M. (2013a). Élève chercheur, enseignant médiateur. Donner du sens aux savoirs. Paris : Retz et Montréal : Chenelière Éducation.

Barth, B.-M. (2013b). L’apprentissage de l’abstraction (2e éd.). Paris : Retz – S.E.J.E.R.

Beaulne, G. (2016). Effets d’un enseignement suivant les principes de la médiation sociocognitive des apprentissages sur la performance d’élèves de 1re secondaire à identifier le sujet (Mémoire de maitrise inédit). Université du Québec à Montréal, Québec. Repéré à http://www.archipel.uqam.ca/9338/1/M14465.pdf

Lord, M.-A. (2012). L’enseignement grammatical au secondaire québécois : pratiques et représentations d’enseignants de français (Thèse de doctorat inédite). Université Laval, Québec. Repéré à www.theses.ulaval.ca/2012/29020/29020.pdf

[i] Le lecteur intéressé à en savoir davantage sur cette méthode d’enseignement pourra consulter Effets d’un enseignement suivant les principes de la médiation sociocognitive des apprentissages sur la performance d’élèves de 1re secondaire à identifier le sujet (http://www.archipel.uqam.ca/9338/).

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