Deux modèles de traitement du nombre qui font consensus

04/12/2015 12:49:39

Partager ce contenu

 

La prévalence de la dyscalculie (c’est-à-dire le trouble d’apprentissage mathématique) peut aller jusqu’à 10 % selon certaines études. Cette donnée justifie que l’on s’intéresse de près aux modèles théoriques et explicatifs des processus mathématiques. En effet, bien comprendre comment un enfant développe ses habiletés à traiter les nombres et les activités mathématiques permet de mieux appréhender ses difficultés et ses forces.

Piaget et Szeminska (1941) affirmaient que l’accès au nombre chez l’enfant est tardif. Selon ces auteurs, l’enfant ne possèderait pas les structures logiques requises pour appréhender, comprendre et utiliser le concept de nombre invariant (c’est-à-dire que le nombre demeure identique à lui-même, quelle que soit la disposition des éléments qui le composent) avant ses 6 ans. Toutefois, les données récentes relatives aux aptitudes numériques et arithmétiques issues de travaux menés chez le bébé et l’animal, de même que d’autres en neuropsychologie (à savoir l’étude de patients adultes acalculiques et d’enfants dyscalculiques), en neuro-imagerie et en génétique remettent ce postulat en question (Butterworth, 2005) et ont permis de développer de nouveaux modèles théoriques.

Actuellement, le modèle du triple code (Dehaene, 1992; Wilson & Dehaene, 2007) fait figure de référence dans l’étude des processus numériques. Ce modèle explique les traitements numériques cognitifs de l’adulte et postule que trois systèmes de représentation sont mobilisés pour le traitement du nombre.

Le premier système de représentation, le code analogique (ex. ????), sert à effectuer des comparaisons numériques et des calculs approximatifs. Ce système inné, sous-tendu par le lobe pariétal, permet d’appréhender le sens du nombre, autrement dit la signification des quantités. Les quantités numériques sont ainsi représentées mentalement sur une ligne numérique allant de gauche à droite et devenant de moins en moins précise. Ce système non symbolique permet donc une évaluation précise des petites quantités et une estimation approximative des grandes collections.

Les deux autres systèmes de représentation, le code auditif verbal et le code visuel arabe, sont symboliques et asémantiques. La représentation auditive verbale (ex. « quatre » prononcé /katr/) est utilisée principalement dans l’activité de comptage et dans l’utilisation des tables. Elle permet de coder la quantité et intervient dans les activités de calcul précis. La représentation visuelle arabe (ex. « 4 ») qui correspond à la forme visuelle des nombres arabes, intervient dans les activités de calcul précis et permet de réaliser des calculs mentaux complexes ainsi que des jugements de parité (c’est-à-dire, juger si un nombre est pair ou impair). Seuls ces deux systèmes symboliques permettent donc de réaliser des calculs précis au-delà des petites quantités.

Dans le même esprit théorique du traitement du nombre, Von Aster & Shalev (2007) ont développé le modèle développemental de l’acquisition numérique. Pour ces auteurs, les représentations numériques se développent très précocement pendant les premières années de vie ainsi que pendant la scolarité et l’enseignement formel des mathématiques. Le modèle décrit alors quatre étapes clés. La première consiste en un sens du nombre inné basé sur un système de représentation des quantités qui permet à l’enfant de reconnaitre les toutes petites quantités et d’estimer les grandes quantités. La deuxième étape correspond à l’acquisition des mots-nombres pendant la jeune enfance et à l’association de ceux-ci aux quantités perçues. La troisième étape regroupe l’apprentissage des symboles arabes et leur association aux mots-nombres et aux quantités perçues. Ces trois étapes préalables sont ainsi des conditions nécessaires au développement d’une ligne numérique mentale mature, ce qui constitue la quatrième et dernière étape.

Ces deux modèles théoriques du traitement du nombre font actuellement consensus dans la communauté scientifique pour l’étude des connaissances mathématiques chez l’humain. Ils ont aussi des implications pratiques pour les cliniciens travaillant avec des enfants qui connaissent des difficultés mathématiques. Ils permettent par exemple d’établir un plan d’évaluation pour bien comprendre les difficultés spécifiques de traitement du nombre de chaque enfant.

Références

Butterworth, B. (2005). Developmental dyscalculia. Dans J. I. Campbell (Éds), Handbook of mathematical cognition (pp.455–467). Hove: Psychology Press.

Dehaene, S. (1992). Varieties of numerical abilities. Cognition, 44, 1–42. Repéré à http://www.unicog.org/publications/Dehaene_VarietiesOfNumericalAbilities_Cognition_1992.pdf

Piaget, J., & Szeminska, A. 1941. La genèse du nombre chez l’enfant. Neufchâtel : Delachaux et Niestlé.

Von Aster, M., & Shalev, R. S. (2007). Number development and developmental dyscalculia. Developmental Medicine & Child Neurology, 49, 868–873.

Wilson, A. J., & Dehaene, S. (2007). Number Sense and Developmental dyscalculia. Dans D. Coch, G. Dawson, & K. W. Fischer (Éds), Human Behavior learning, and the developing brain: atypical development (pp. 212–238). New York, NY: Guilford Press.

Crédit photo : Shutterstock

Partager ce contenu