La communauté d’apprentissage : interagir pour apprendre ensemble

22/02/2017 09:33:27

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Au Québec, la gestion de classe en enseignement primaire et secondaire est l’une des compétences professionnelles qui donnent le plus de fil à retordre aux enseignants et enseignantes (Lessard & Schmidt, 2011). Malgré les nombreuses études sur les effets parfois négatifs des systèmes d’émulation en classe (Archambault & Chouinard, 2009), tels la baisse de motivation intrinsèque chez certains élèves, l’impact négatif sur leur estime personnelle (ils se comparent entre eux), et la poursuite de leurs comportements inadaptés (ces systèmes ne modifient pas les comportements à long terme), les milieux scolaires sont encore nombreux à les promouvoir (Archambault & Chouinard, 2009). Leur popularité s’explique par le fait que ces systèmes sont simples et rapides à mettre en place et qu’ils amènent l’arrêt temporaire des comportements perturbateurs des élèves.

Cependant, l’émulation sous-tend un système autocratique qui repose sur les épaules des enseignants et des enseignantes : ces derniers récompensent ou punissent les élèves en fonction des attentes et des règles établies, sans réellement avoir d’effets sur l’apprentissage des bons comportements. C’est pourquoi ils peuvent être lourds à porter pour les enseignants. Comment axer un système de gestion de classe sur la responsabilisation des élèves et sur la modification de leurs comportements à long terme @f0 Voilà ce que nous propose la communauté d’apprentissage! La communauté d’apprentissage est une approche pédagogique et d'organisation de classe qui engage les élèves à communiquer et à travailler ensemble vers des buts communs. Des jalons, au nombre de sept, ont été proposés pour permettre de voir ce qui est nécessaire de mettre en place dans une classe, de façon progressive, afin que celle-ci devienne une véritable petite communauté qui engage les élèves en les amenant à interagir, et ce, de façon dynamique. La figure 1 présente ces sept jalons de la communauté d’apprentissage.

 

[caption id="attachment_3696" align="aligncenter" width="600"]Figure 1 : Les sept jalons de la communauté d’apprentissage. Figure 1 : Les sept jalons de la communauté d’apprentissage.[/caption]

 

1) Processus démocratique

À plusieurs moments, plus de place est laissée aux élèves dans le fonctionnement de la classe. Ils ont à prendre des décisions, à s’engager. Ainsi, ils sont impliqués dans l’établissement des règles de classe (gestion de classe participative) et, pourquoi pas, dans l’élaboration de l’organisation spatiale de la classe. De plus, l’enseignant n’est plus considéré comme le seul « expert » de la classe, mais devient plutôt le membre le plus « expert » dont les rétroactions, commentaires et modélisations orientent les apprenants. Cependant, son étayage demeure déterminant dans l’avancement des connaissances des élèves de la communauté.

À cet égard, une équipe de recherche de l’UQAC en collaboration avec des chercheurs de l’Université Laval (Allaire et al., 2013) a mis en lumière l’importance des interventions des enseignants dans l’élaboration d’une planification flexible mais réfléchie pour soutenir les élèves faisant partie d’une communauté d’apprentissage dans un projet d’écriture itérative. Bref, la communauté d’apprentissage repose sur un processus démocratique pensé et mis en œuvre par l’enseignante ou l’enseignant.

 

2) Dialogue progressif

Des stratégies sont mises en place afin de soutenir le dialogue des élèves pour qu’ils formulent des idées et soulèvent de nouvelles questions. Amener les élèves à soulever un questionnement authentique à travers une tempête d’idées sur un phénomène scientifique ou sur une notion de français est un exemple de dialogue progressif. On s’attend alors à ce que les élèves discutent de ce qu’ils ont appris, de ce qu’ils trouvent difficile à comprendre, et à ce qu’ils fournissent une rétroaction aux autres. Ils sont accompagnés par les enseignants dans l’accomplissement de ces tâches.

Selon une étude réalisée auprès de classes de 2e et 3e cycle du primaire (Boutin, Hamel, & Laferrière, 2016), des élèves placés dans un contexte de communauté d’apprentissage et ayant à travailler ensemble sur des tâches complexes auraient été amenés non seulement à poser plus de questions, mais à les complexifier. Dans le cadre de cette étude, les élèves devaient coécrire un texte informatif sur le Moyen Âge. Au lieu de formuler des questions portant sur des faits, par exemple « en quelle année a commencé le Moyen Âge? », les élèves posaient davantage de questions dans le but de mieux comprendre un phénomène ou un concept, par exemple « comment vivaient les enfants au Moyen Âge? », ce qui suscitait de nouvelles discussions plus élaborées.

 

3) Problèmes authentiques

Pour susciter l’engagement dans l’élaboration d’un discours collectif, il importe que les problèmes sur lesquels les apprenants se penchent soient contextualisés, en partant de leurs propres questionnements. De plus, pour arriver à une compréhension des problèmes authentiques, des idées provenant des conceptions initiales des élèves sont nécessaires de même que des connaissances établies. Ces connaissances établies peuvent être remises en question et négociées tout comme les conceptions des élèves. D’ailleurs, des études sur la nature du questionnement des élèves (Boutin, 2013; Boutin et al., 2016 ; Hamel, Turcotte, Laferrière, & Bisson, 2015) ont montré que lorsque, dans le discours collectif de la classe, les questions provenant des élèves sont encouragées, la nature des de ces dernières se complexifie.

 

4) Buts d’apprentissage communs

La communauté d’apprentissage met l’accent sur la participation de l’élève et son engagement dans son apprentissage. Elle laisse place à l’élève en tant qu’individu unique qui a des besoins, des buts qui lui sont propres, mais qu’il peut partager avec ses pairs à l’occasion. Il aura à échanger et à construire avec ses pairs. Mettre en œuvre une communauté d’apprentissage dans sa classe, c’est tendre à multiplier les occasions d’interaction où les buts d’apprentissage des élèves sont partagés. L’intention ici est non seulement de faire participer les élèves, mais de les amener à se responsabiliser quant à leurs apprentissages en les faisant interagir. Les membres d’une communauté d’apprentissage partagent aussi leurs efforts individuels dans le but d’atteindre un niveau de compréhension plus approfondi de l’objet d’étude. Ils mettent en œuvre leurs connaissances et leurs habiletés respectives pour résoudre collectivement des problèmes qui seraient difficiles à résoudre par une seule personne. La recherche a démontré que les élèves sont en mesure de développer une expertise liée à la résolution de problèmes commune, même en bas âge. Pour développer cela, ils ont besoin de développer une compréhension approfondie des problèmes qu’ils étudient. Il est important de cibler des sujets d’intérêt qui sont centrés sur des principes clés ou des idées maitresses d’un domaine.

 

5) Communauté cohésive, mais ouverte

Une communauté d’apprentissage est ouverte à la communauté élargie et bénéficie de cette dernière. Une communauté élargie peut être formée avec une autre classe, une autre école, un autre milieu, etc. Elle peut aussi être formée avec un expert, par exemple avec un auteur de littérature jeunesse. La communauté d’apprentissage que forme la classe utilise des ressources qui proviennent de l’extérieur, de l’école ou du réseau, incluant des experts du contenu, des mentors, le Web, etc. La communauté d’apprentissage constitue aussi une ressource pour la communauté élargie en contribuant à son savoir ou en tant que modèle de communauté d’apprentissage.

 

6) Diversité des compétences individuelles

Les élèves qui composent la classe sont tous différents. De ce fait, ils ont des idées différentes, des habiletés différentes et des compétences de différents niveaux. La mise en œuvre d’une communauté d’apprentissage permet de mettre à profit cette diversité à travers la négociation et la collaboration. Le concept d’étayage (Wood, Bruner, & Ross, 1976) fait explicitement référence au concept de zone de développement proximal en introduisant un individu plus expérimenté dans le processus afin de faciliter la résolution de problème. Traditionnellement, l’individu le plus expérimenté dans la classe est l’enseignant ou l’enseignante. Cependant, l’étayage n’est pas réservé à l’interaction entre un enseignant et un élève, mais peut également s’appliquer lors d’interactions entre les élèves (Lai & Law, 2006). L’étayage est en fait l’interaction d’une enseignante ou d’un enseignant, ou d’un pair ayant une plus grande expérience, avec un pair « moins » expert afin que ce dernier progresse (Mugny & Doise, 1978). De plus, même lorsque les élèves ont une expertise semblable, le fait de négocier et de partager leurs idées pourrait les amener à faire avancer leurs connaissances collectives sur un sujet et à repousser le développement de leurs compétences. Dans une communauté d’apprentissage, les élèves sont fortement encouragés à prendre part au discours de la classe et à partager, à entreprendre et à construire avec les autres. Les élèves s’engagent dans la tâche. Le lien social dans la classe se tisse par la voie de la démocratisation de la parole et la place plus grande laissée à l’élève et à ses initiatives.

 

7) Développement professionnel

Les enseignants souhaitant mettre en place une communauté d’apprentissage dans leur classe peuvent aussi former eux-mêmes une communauté dans le cadre de leurs activités de développement professionnel. Ainsi, pour la plupart des enseignants, la communauté d’apprentissage est un changement difficile à accomplir puisqu’ils sont habitués à gérer la classe, à décider des sujets à étudier et à connaitre les réponses à l’avance. Pour favoriser la création et le maintien d’une telle classe, les enseignants ont besoin de créer leur propre communauté de pratique ou d’apprentissage afin de faire progresser leur compréhension collective de nouveaux modes d’organisation et de gestion de la classe.

 

Les bienfaits de la communauté d’apprentissage

Le modèle de gestion de classe basé sur la communauté d’apprentissage permet d’amener les élèves à interagir dans la classe en regard du vivre ensemble (établissement des règles, organisation spatiale de la classe, interaction pour apprendre, etc.) et de l’apprendre ensemble (collaboration, apprentissage par projets, coopération, etc.).

 

Vivre ensemble

Mettre en œuvre une communauté d’apprentissage en classe, c’est adopter un modèle de gestion de classe participative, où l’élève est encouragé à participer activement au fonctionnement de la classe, autant dans l’établissement des règles que dans l’organisation spatiale. D’après la pédagogue et auteure Jacqueline Caron (1994), dont plusieurs travaux portent sur la gestion de classe participative, celle-ci se traduit au quotidien par :

- un climat serein, ouvert et agréable;

- une discipline de classe gérée en collaboration avec les élèves;

- des situations d’apprentissage ajustées au savoir et à l’expérience des élèves, qui sollicitent constamment leur participation;

- le déroulement flexible des activités, qui s’ajuste à la progression des élèves;

- des interactions nombreuses et fructueuses;

- une guidance de l’enseignant ou l’enseignante, où l’élève apprend en faisant.

En choisissant la gestion démocratique propre à la communauté d’apprentissage, l’enseignante ou l’enseignant met les bases afin de tisser des liens plus forts avec ses élèves (Laferrière, 1999). Cette forme de gestion permettrait aussi aux élèves de développer un sentiment d’appartenance plus grand envers la classe, leurs pairs et leur enseignant ou enseignante. En effet, selon Sergiovanni (1994) : « Quand les élèves partagent la responsabilité du choix des normes de la classe et quand il est attendu d’eux qu’ils les respectent, ils s’en sentent membres. Ils savent qu’ils participent, que la classe est la leur. Ils font l’expérience de la communauté » (p. 121). À travers les interactions de la classe démocratique, les élèves se formeraient aussi à devenir des citoyens actifs et responsables.

 

Apprendre ensemble

L’adhésion à un mode de gestion de classe participative n’a pas uniquement des effets sur l’ambiance de la classe. Ce mode de fonctionnement place également les préalables à des apprentissages significatifs en amenant les élèves à formuler des questionnements et à s’engager dans leurs apprentissages. Pour favoriser l’engagement des élèves, il est nécessaire de proposer des tâches assez complexes pour amener les élèves à collaborer pour réussir et apprendre ensemble. Ainsi, il s’agit de concevoir et de planifier des activités en vue d’encourager les élèves à interagir, à s’engager de manière active dans leur réalisation en leur laissant de l’espace pour le faire.

 

Conclusion

La communauté d’apprentissage s’appuie sur des valeurs démocratiques à travers lesquelles les élèves et l’enseignant ou l’enseignante partagent leurs visions, leurs besoins et se donnent des buts communs. L’organisation d’une communauté demande du temps pour créer des liens et pour développer la confiance entre les membres. Elle exige aussi du temps pour concevoir des situations d’enseignement-apprentissage authentiques qui offrent des défis aux élèves (apprendre ensemble). Enfin, elle nécessite du temps pour établir avec les élèves des règles de classe, des attentes comportementales ainsi que des conséquences logiques qui s’y rattachent (vivre ensemble). Pour l’enseignant ou l’enseignante, l’implantation d’une communauté demande de réfléchir aux ressources diversifiées à mettre à disposition, mais elle permet surtout d’assumer un leadership positif et constructif au profit des élèves.

 

Références

Allaire, S., Thériault, P., Gagnon, V., Laferrière, T., Hamel, C., Boutin, P.-A., & Debeurme, G. (2013). Vers une écriture collective transformative au primaire : interventions enseignantes et design technologique. Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation et la Formation, 20, 1–24.

Archambault, J., & Chouinard, R. (2009). Vers une gestion éducative de la classe (3e éd.). Montréal : Gaëtan Morin éditeur.

Boutin, P.-A. (2013). Processus d’amélioration des idées et discours collectif d’élèves du primaire : la sélection des idées prometteuses et ses suites (Mémoire de maitrise). Université Laval, Québec.

Boutin, P.-A., Hamel, C., & Laferrière, T. (2016). La sélection d’idées prometteuses et l’émergence d’un questionnement authentique dans l’élaboration du discours collectif d’élèves du primaire. Canadian Journal of Learning and Technology – La Revue canadienne de l’apprentissage et de la technologie, 42(1), 1–23.

Caron, J. (1994). Quand revient septembre… : Guide sur la gestion de classe participative (vol. 1). Montréal : Les Éditions de la Chenelière.

IsCoL. (2001). Jalons de réussite d’une communauté d’apprentissage. Récupéré du site du comité : http://www.iscol.org

Hamel, C., Turcotte, S., Laferrière, T., & Bisson, N. (2015). Improving Students’ Understanding and Explanation Skills Through the Use of a Knowledge Building Forum. McGill Journal of Education – Revue des sciences de l’éducation de McGill, 50(1), 181-189.

Laferrière, T. (1999). Apprendre à organiser et à gérer la classe, communauté d’apprentissage assistée par l’ordinateur multimédia en réseau. Revue des sciences de l’éducation, 25(3), 571–591. http://doi.org/10.7202/032014ar

Laferrière, T., Hamel, C., Laberge, C., & Allaire, S. (2005). Les communautés d’apprenants en réseau : un modèle intégrateur pour l’éducation à la citoyenneté au 21e siècle. Dans A. Duhamel & F. Jutras (dirs), Enseigner et éduquer à la citoyenneté (pp.13-27). Sainte-Foy : Les Presses de l’Université Laval.

Lai, M., & Law, N. (2006). Peer Scaffolding of Knowledge Building Through Collaborative Groups with Differential Learning Experiences. Journal of Educational Computing Research, 35(2), 123–144.

Lessard, A., & Schmidt, A. (2011). Recension des écrits sur la gestion de classe. Récupéré de : http://www.csrs.qc.ca/fileadmin/user_upload/Page_Accueil/Enseignants/Fenetre_pedagogique/PEPS/Gestion-classe.pdf

Mugny, G., & Doise, W. (1978). Socio-cognitive conflict and structure of individual and collective performances. European Journal of Social Psychology, 8(2), 181–192.

Sergiovanni, T. J. (1994). Building community in schools. San Francisco, CA : Jossey-Bass.
Wood, D., Bruner, J. S., & Ross, G. (1976). The rule of Tutoring in Problem Solving. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 17(2), 89–100.

Crédit photo: dolgachov / 123RF Banque d'images

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