La meilleure façon d'enseigner l'orthographe d'usage

14/03/2016 09:38:00

Partager ce contenu

 

L’enseignement de l’orthographe d’usage, aussi nommé orthographe lexicale, semble être la bête noire de plusieurs enseignants. Cette orthographe se distingue de l’orthographe grammaticale, qui concerne la conjugaison des verbes et l’accord en genre et en nombre des mots. L’orthographe d’usage est moins « logique » que l’orthographe grammaticale. Elle est souvent évaluée à l’aide de dictées lors d’un contrôle le vendredi matin. Un bon nombre d’élèves au Québec reviennent d’ailleurs à la maison avec une liste de mots de vocabulaire à mémoriser afin d’obtenir une bonne note lors de leur évaluation hebdomadaire en orthographe. Pourquoi enseigne-t-on l’orthographe d’usage ainsi? Est-ce la meilleure façon de l’enseigner? Je tente de répondre à ces questions dans ce billet.

 

Un peu d’histoire!

Dans les années 1940 et 1950, on enseignait couramment l’orthographe à partir de la phonétique et de ce que l’on appelait les patrons orthographiques… l’épellation! C’était l’époque où Mon premier livre de lecture et Mon deuxième livre de lecture (Forest & Ouimet, 2013a et b; voir les couvertures des livres ci-dessous) avaient la cote.

 

Mon premier livre

 

1441203-gf

 

 

La stratégie d’enseignement préconisée dans ces livres a été abandonnée dans les années 1980 et 1990 au profit d’une approche axée sur la communication (Leroux & Martin, 2012). On a alors commencé à penser qu’à force de voir les mots, les élèves intègreraient les « exceptions » visuelles de certains d’entre eux. C’est ainsi qu’au cours des dernières décennies on a privilégié l’apprentissage et la mémorisation de listes de mots tirées de manuels d’apprentissage présents dans les classes. Cette façon de faire est encore largement répandue aujourd’hui.

Peu à peu, toutefois, grâce à certains ouvrages comme Scénario pour mieux écrire les mots (Leroux & Martin, 2012) et à des activités comme la dictée zéro faute (dans Nadeau & Fisher, 2006), un changement quant à la méthode d’enseignement de l’orthographe d’usage commence à être observé. En mai 2015, une équipe de recherche de l’Université de Montréal, dirigée par Daniel Daigle, a publié un rapport de recherche sur l’enseignement explicite de l’orthographe lexicale (Daigle et al., 2015). Ce rapport a fait boule de neige sur la toile. Depuis cette parution, de nombreuses publications d’autres auteurs de différentes institutions reprennent et diffusent l’information : il est maintenant démontré scientifiquement que les pédagogues gagnent à enseigner explicitement les propriétés visuelles des mots et non seulement les propriétés phonologiques.

Aujourd’hui, les enseignants et les autres professionnels de l’éducation intéressés par l’enseignement explicite de l’orthographe d’usage observent non seulement les bénéfices de cette méthode (puisque le nombre de fautes d’orthographe produites par les élèves diminue), mais aussi ses bienfaits sur le développement des autres compétences. En effet, en permettant aux élèves de diminuer leurs doutes orthographiques en leur enseignant des patrons orthographiques à reproduire, on leur donne davantage le temps de se concentrer sur la syntaxe, les accords, la ponctuation, l’insertion de marqueurs de relation, la structure de leur texte, etc., bref, toutes les autres tâches à effectuer lorsqu’ils écrivent un texte.

 

Une des conclusions de l’étude de Daigle et al. (2015) à retenir

Les résultats de la recherche effectuée par Daigle et ses collaborateurs (2015) sont très significatifs et apportent six conclusions importantes, dont celle-ci que les enseignants ne peuvent plus ignorer dans leur pratique:

La sensibilisation des élèves aux propriétés visuelles des mots constitue la pratique la plus efficace de l’apprentissage de certains phénomènes orthographiques [ce sont les auteurs qui soulignent]. [… P]our la première fois, une étude empirique a montré que les aspects visuels des mots [le e muet, le doublement de la consonne en milieu de mot, le n qui devient m devant b et p, par exemple] peuvent être enseignés explicitement et que les élèves bénéficient davantage de ce type d’enseignement que d’un enseignement basé uniquement sur les propriétés phonologiques des mots pour se sensibiliser à certains phénomènes orthographiques (phonèmes multigraphémiques, lettres muettes et homophones). […] Non seulement les enseignants doivent être formés par rapport à ces phénomènes et aux dispositifs pour les enseigner, mais les décideurs doivent aussi inclure les [propriétés visuelles des mots au programme de formation des maîtres] (p. 12-13).

Par ailleurs, cette étude très concrète représente un outil d’enseignement potentiel pour les enseignants et, seulement pour cette raison, elle en vaut la lecture. Les enseignants peuvent y trouver des séquences d’enseignement complètes en entrainement à l’orthographe lexicale en fonction des propriétés visuelles des mots et les reprendre pratiquement intégralement en classe. Voyons en quoi consistent ces propriétés.

 

Les propriétés visuelles des mots

Les propriétés visuelles des mots (aussi appelées propriétés visuo-orthographiques) marquent l’aspect visuel des mots. Par exemple, le scripteur doit savoir que dans le mot courrier, le son /r/ demande un doublement de la consonne puisqu’il ne peut pas entendre cette nuance à l’oral; il ne peut donc pas se fier uniquement aux sons entendus pour écrire ce mot.

Les propriétés visuelles des mots sont regroupées selon qu’elles sont des phénomènes sublexicaux ou des phénomènes lexicaux (Daigle et al., 2015):

  • Phénomènes sublexicaux
  • Règles de positionnement des lettres : changement de graphies seulement (la lettre n est remplacée par m devant b ou p), et changement de graphies et de prononciation (la lettre s entre deux voyelles se prononce /z/; cela concerne aussi le g dur comme dans le mot garçon ou encore le c dur comme dans cabane).
  • Légalité orthographique : les doubles consonnes sont toujours au milieu d’un mot (balle, pomme, carré, etc.) et non au début ou à la fin d’un mot. Certaines consonnes se doublent (b, c, d, f, g, l, m, n, p, r, s, t, z) alors que d’autres ne se doublent pas (j, q, v, w, x) ou alors très rarement (h, k).
  • Multigraphémie : les sons peuvent s’écrire de différentes façons. Par exemple, le son /o/ peut s’écrire o, au ou eau, et le son /k/ peut s’écrire c, k ou qu.
  • Lettres muettes : certaines lettres muettes ne transmettent pas de sens (« toujours prend toujours un s»; homme commence par un h muet; le e muet de certains mots comme poire ou raie) alors que d’autres qui transmettent un sens se trouvent dans des mots de même famille (désert et désertique).
  • Irrégularité orthographique : mots qui comportent des combinaisons de lettres atypiques (monsieur, jazz, messieurs, yacht, shampoing, etc.).

  • Phénomènes lexicaux (ou supralexicaux)
  • Homophonie : Ce phénomène note la différence graphique entre les mots qui se prononcent de la même manière et qui n’ont pas le même sens, par exemple tente/tante, thym/teint et taon/thon.
  • Idéogrammie : Dans le cas de l’orthographe, ce phénomène concerne les lettres majuscules (Couture et couture), l’apostrophe (d’eux et deux) et le trait d’union (peut-être et peut être).
  • Respect des frontières lexicales : Ce phénomène n’est pas strictement orthographique comparativement aux autres. Par exemple, un élève pourrait écrire lavion ou dhabitude parce qu’il n’a pas bien acquis le statut lexical des mots.

 

Références

Daigle et al. (2015). Rapport de recherche, programme actions concertées : L’enseignement de l’orthographe lexicale et l’élève en difficulté : développement et mise à l’essai d’un programme d’entraînement. Repéré à :

http://www.frqsc.gouv.qc.ca/documents/11326/1320970/

PT_DaigleD_rapport_ortographe-lexicale.pdf/a9cb5432-bf29-4d43-a230-83540a6fca41

http://www.fse.umontreal.ca/fileadmin/fichiers/documents/Rapport_final_MELS2015_D.Daigle.pdf

Forest, M., & Ouimet, M. (2013a). Mon premier livre de lecture. Montréal: Éditions du Quartz. [Reproduction de la version de 1959].

Forest, M., & Ouimet, M. (2013a). Mon deuxième livre de lecture. Montréal: Éditions du Quartz. [Reproduction de la version de 1959].

Leroux, C., & Martin, L. (2012). Scénario pour mieux écrire les mots?: L’enseignement explicite des règles d’orthographe lexicale. Montréal: Chenelière Éducation.

Nadeau, M., & Fisher, C. (2006). La grammaire nouvelle?: la comprendre et l’enseigner (coll. Chenelière Éducation). Montréal: Gaétan Morin Éditeur.

Crédit photo: Shutterstock

Partager ce contenu