Les difficultés en langage écrit chez les enfants présentant un trouble développemental des sons de la parole (TSP)

02/11/2016 08:58:09

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Je vous ai parlé la semaine dernière de l’importance de tenir compte des habiletés perceptuelles dans l’évaluation orthophonique, notamment parce que 30 à 40 % des enfants présentant un trouble développemental des sons de la parole (TSP) auraient des difficultés sur le plan de la perception. Je vous parle à nouveau cette semaine des enfants ayant un TSP, mais sous l’angle des difficultés en langage écrit qu’ils risquent de présenter. Dans quels contextes ces difficultés sont-elles plus à risque d’être présentes? J’explore la question avec vous.

 

Le trouble développemental des sons de la parole et les difficultés en langage écrit

Selon la dernière édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) de l’Association américaine de psychiatrie (APA, 2015), le trouble du développement des sons de la parole (TSP), ou Speech Sound Disorder (SSD), se définit selon quatre critères :

  • Une parole inintelligible persistante, qui consiste en des additions, des omissions, des distorsions ou des substitutions de phonèmes qui interfèrent avec la communication verbale.
  • Un impact sur la participation sociale, les performances scolaires, académiques ou occupationnelles.
  • Une apparition des symptômes pendant l’enfance.
  • Les symptômes ne peuvent pas être expliqués par une condition médicale, neurologique, ou une maladie.

Le TSP (SSD) se caractérise entre autres par une fréquence élevée de patrons de transformations de sons, comparativement aux enfants du même âge, et son impact sur l’intelligibilité de la parole de l’enfant (Rvachew & Rafaat, 2014). Il est à noter que le TSP (SSD) se présente également souvent en comorbidité avec des difficultés de langage oral et/ou écrit (Rvachew & Rafaat, 2014). Les écrits de la littérature rapportent en effet que les enfants d’âge préscolaire présentant un TSP (SSD) sont plus à risque d’éprouver des difficultés en lecture plus tard ou de présenter une dyslexie développementale (Bird et al., 1995, Larrivee & Catts, 1999, Lewis & Freebairn, 1992, cités dans Peterson, Pennington, Shriberg, & Boada, 2009). Parallèlement, les enfants éprouvant des difficultés en lecture ont souvent présenté un TSP en bas âge (Pennington & LeFly, 2001, Scarborough, 1990, cités dans Peterson et al., 2009). Certains rapportent une comorbidité d’environ 25 à 30 % (Gallagher, Frith, & Snowling, 2000, Lewis, 1996, Pennington & Lefly, 2001, cités dans Peterson et al., 2009), alors que d’autres études mentionnent plutôt que 30 à 77 % des enfants présentant un TSP composent avec des difficultés en lien avec l’écriture à l’âge scolaire (Anthony et al., 2011).

 

Les facteurs de risque de présenter des difficultés en langage écrit chez les enfants présentant un trouble développemental des sons de la parole

Lors d’une intervention en orthophonie auprès d’un enfant de moins de 5 ans présentant un TSP (SSD), il y a lieu d’envisager la possibilité d’éventuelles difficultés dans l’apprentissage du langage écrit. Il importe d’agir le plus rapidement possible afin de prévenir l’apparition de telles difficultés. Quels sont les facteurs à considérer en vue d’intervenir adéquatement? Voici un résumé des principaux facteurs de risque qui ont été reconnus dans la littérature à ce jour :

  • La persistance du TSP (Nathan, Stackhouse, Goulandris, & Snowling, 2004). Le risque pourrait être plus élevé pour les enfants dont les difficultés phonologiques persistent après l’entrée scolaire.
  • La présence de patrons de transformations ne suivant pas la trajectoire développementale (Leitao & Fletcher, 2004). Le risque pourrait être plus élevé pour les enfants présentant des patrons de transformations plus atypiques (idiosyncrasiques) qui ne suivent pas la séquence développementale.
  • La sévérité du TSP (Nathan et al., 2004). Le risque pourrait être plus élevé pour les enfants présentant un TSP plus sévère.
  • La présence de difficultés langagières. Ce point est très important et a été l’objet de plusieurs études longitudinales. Par exemple, Bishop et Adams (1990) se sont intéressés au devenir, à l’âge de 8 ans, d’enfants présentant un TSP ou un trouble de langage (TL) à 4 ans, comparativement à celui d’enfants au développement typique. Dans les tâches d’identification de mots et d’autres mesures en littératie, les enfants présentant un TSP étaient comparables au groupe contrôle, alors que les enfants présentant un TL ont réalisé des performances moins élevées. D’autres études ont comparé des enfants présentant un TSP seul à ceux présentant un TSP en comorbidité avec un TL, et ce sont les enfants avec un TL qui obtiennent des résultats inférieurs à l’âge scolaire dans des tâches de lecture et d’orthographe (Peterson et al., 2009). Ainsi, selon Peterson et ses collègues (2009), oui, les enfants avec un TSP sont plus à risque de développer des difficultés en lecture, mais ils le sont encore davantage lorsqu’ils présentent également des difficultés langagières.

Toutefois, même en l’absence de ces facteurs, on peut se demander pourquoi certains enfants avec un TSP se retrouvent tout de même en difficulté en langage écrit à l’âge scolaire. Anthony et al. (2011) se sont penchés sur certains facteurs de risque, en comparant des enfants avec un TSP à des enfants sans TSP ayant tous un même niveau de développement langagier. Les résultats de leur étude démontrent que, comparativement à leurs pairs du même âge aux mêmes habiletés langagières, les enfants avec un TSP d’âge préscolaire à risque de difficultés en lecture présentent certaines faiblesses dans le traitement des informations phonologiques (conscience phonologique, habiletés perceptuelles de la parole et production de la parole). Selon cette étude, leur faiblesse en conscience phonologique et en lecture de mots pourrait être expliquée au moins partiellement par des difficultés de représentations phonologiques. Ainsi, indépendamment de leur niveau d’habiletés langagières, certains enfants ayant un TSP sont à risque de présenter des difficultés en lecture, et ce, surtout lorsqu’ils présentent des faiblesses dans le traitement des informations phonologiques. Toutefois, bien entendu, si l’on ajoute à ces profils des difficultés langagières, le risque de présenter des difficultés en lecture s’en trouve encore plus grand (Anthony et al., 2011).

À la lumière de ces données, il s’avère donc très important lors de l’évaluation d’un enfant présentant un trouble développemental des sons de la parole, ou d’une intervention auprès de lui, de prendre en considération ses habiletés de production de la parole, mais aussi ses habiletés langagières et de conscience phonologique, et la qualité de ses représentations phonologiques (par exemple, sur le plan perceptuel, faire des activités d’identification ou de discrimination phonémique).

 

Références

American Psychiatry Association. (2015). DSM-5 : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (5e éd.) (version internationale) (Washington, DC, 2013). Traduction française par M. A. Crocq & J. D. Guelfi. Issy-les-Moulineaux, France : Elsevier Masson SAS.

Anthony, J. L., Aghara, R. G., Dunkelberger, M. J., Anthony, T. I., Williams, J. M., & Zhang, Z. (2011). What factors place children with speech sound disorders at risk for reading problems? American Journal of Speech-Language Pathology, 20(2), 146-160.

Bishop, D. V., & Adams, C. (1990). A prospective study of the relationship between specific language impairment, phonological disorders, and reading retardation. Journal of Child Psychology and Psychiatry, and Allied Disciplines, 31(7), 1027-1050.

Catts, H. W. (1993). The relationship between speech language impairments and reading disabilities. Journal of Speech, Language, and Hearing Research, 36, 948–958.

Leitao, S., & Fletcher, J. (2004). Literacy outcomes for students with speech impairment: long-term follow-up. International Journal of Language & Communication Disorders, 39, 245–256. doi:10.1080/13682820310001619478

Nathan, L., Stackhouse, J., Goulandris, N., & Snowling, M. J. (2004). The development of early literacy skills among children with speech difficulties: A test of the “critical age hypothesis”. Journal of Speech, Language, and Hearing Research, 47, 377–391.

Peterson, R. L., Pennington, B. F., Shriberg, L. D., & Boada, R. (2009). What influences literacy outcome in children with speech sound disorder? Journal of Speech, Language, and Hearing Research, 52(5), 1175–1188.

Rvachew, S. & Rafaat, S. (2014). Report on Benchmark Wait Times for Pediatric Speech Sound Disorders. Canadian Journal of Speech-Language Pathology and Audiology, 38(1), 82-96.

Sices, L., Taylor, H. G., Freebairn, L., Hansen, A., & Lewis, B. A. (2007). The relationship between speech sound disorders and early literacy skills in preschool-aged children: Impact of comorbid language impairment. Journal of Developmental and Behavioral Pediatrics, 28(6), 438–447.

Crédit photo: 123rf

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