Les inférences en lecture (première partie)

21/09/2016 12:18:37

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Comprendre un texte est une tâche complexe dans laquelle plusieurs processus cognitifs sont impliqués. En effet, la compréhension en lecture exige de la part du lecteur une bonne identification des mots écrits, une bonne compréhension du vocabulaire, des structures syntaxiques et du style discursif de même que de bonnes capacités attentionnelles et mnésiques. Toutefois, l’ensemble de ces habiletés ne suffit pas. La compréhension d’un texte dépend aussi largement de la capacité du lecteur à effectuer des inférences.

Au cours de leur scolarisation, les enfants sont amenés à répondre à différents types de questions de compréhension en lecture. Au début du 1er cycle, on leur demande de répondre à des questions dont la réponse est présente textuellement, c’est-à-dire mot pour mot dans le texte. Puis, au fur et à mesure qu’ils avancent dans leur parcours scolaire, on leur demande d’aller au-delà des mots, c’est-à-dire d’inférer, en leur posant des questions dont la réponse ne figure pas mot pour mot dans le texte. C’est souvent à ce moment-là que bien des enfants commencent à éprouver des difficultés de compréhension en lecture.

Comment le lecteur parvient-il à effectuer des inférences?

Pour générer une inférence, il faut que le lecteur dépasse le niveau de surface du texte, qu’il aille plus loin que la compréhension textuelle (Giasson, 1990). En effet, un auteur ne détaille jamais de façon explicite toutes les informations nécessaires à la compréhension d’un texte, sinon ce dernier serait beaucoup trop laborieux et redondant. En conséquence, le lecteur doit inférer certains éléments d’information, c’est-à-dire déduire ce qui n’est pas écrit dans le texte. Mais comment y arrive-t-il?

Premièrement, les faits scientifiques font ressortir qu’en plus des informations lues dans le texte, le lecteur doit utiliser un ensemble complexe de connaissances qu’il possède. Notons que la terminologie utilisée pour décrire ces connaissances varie souvent d’un auteur à l’autre. De son côté, Stanké (2006) décrit les connaissances du lecteur mobilisées dans la compréhension des inférences comme étant les connaissances auxquelles réfère le contenu du texte, les connaissances sur le monde et les connaissances linguistiques (lexique, grammaire et texte) (p. 49).

Deuxièmement, plusieurs auteurs soulignent la contribution de la mémoire de travail et de la mémoire à long terme dans la capacité à effectuer des inférences. La relation entre la mémoire de travail et la compréhension de texte a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs recherches. Selon Stanké (2006), aucune compréhension ne serait possible en l’absence de la mémoire de travail. De ce fait, le bon fonctionnement de cette dernière constitue un indicateur fiable de la capacité à comprendre des textes écrits chez l’enfant (Stanké, 2006).

La mémoire de travail et la mémoire à long terme travaillent de concert pour mettre en lien toutes les informations lues dans le texte et les connaissances du lecteur afin que ce dernier soit en mesure de générer des inférences. En fait, l’information lue stimule des processus activateurs de la mémoire à long terme. Ces processus activent des connaissances en lien avec l’information du texte et les envoient dans la mémoire de travail. Deux types d’informations vont donc être maintenus en mémoire de travail pendant la durée du processus inférentiel : des éléments d’informations issus de la lecture et certaines connaissances que le lecteur possède sur le monde et qui sont issues de la mémoire à long terme (Lombello & Roux, 2011). Puis, ces deux types d’information sont mis en relation. Enfin, le résultat est stocké en mémoire à long terme.

Troisièmement, pour être en mesure d’effectuer une inférence, le lecteur doit construire des images mentales en mettant certaines informations lues en relation les unes avec les autres de même qu’avec ses connaissances antérieures. Giasson (2011) décrit l’imagerie mentale comme étant l’habileté du lecteur à visualiser une scène afin de comprendre les évènements de l’histoire. Par exemple, si on lit dans un texte : « En ce matin glacial, Julie arriva en retard au travail car elle dut mettre beaucoup de temps à dégager l’entrée de sa maison pour sortir sa voiture », le lecteur utilisera les informations « glacial », « dégager l’entrée » et « sortir sa voiture » avec ses connaissances sur les saisons pour visualiser la scène et ainsi effectuer l’inférence que c’est l’hiver et que l’entrée était recouverte de neige. Selon cette auteure, lorsque le lecteur se sert de l’imagerie mentale, il peut plus facilement deviner le non-dit du texte, c’est-à-dire générer les inférences nécessaires à sa compréhension. Notons que le fait de parvenir à cette représentation mentale est également tributaire des capacités mnésiques du lecteur, plus spécifiquement de sa mémoire à long terme et de sa mémoire de travail.

Pourquoi certains enfants éprouvent-ils des difficultés à effectuer des inférences à partir d’un texte?

Selon Giasson (2011), les causes sous-jacentes aux difficultés à effectuer des inférences en lecture se regroupent sous trois grandes catégories : les causes liées au lecteur, au texte et à l’enseignement. Nous aborderons ici plus spécifiquement les causes liées au lecteur, lesquelles sont notamment dues à des troubles du langage, à un manque de connaissances ou à une incapacité à renouveler des images mentales.

Les habiletés de langage oral et les habiletés de compréhension des inférences en lecture sont étroitement liées. En effet, les recherches démontrent que les lecteurs présentant un trouble du langage oral éprouvent souvent de grandes difficultés de compréhension en lecture, et ce, plus particulièrement en ce qui concerne les inférences (Adams, Clarke, & Haynes, 2009, Dodwell & Bavin, 2008, Laing & Kamhi, 2002, Scannell-Miller, 1982, cités dans Green & Roth, 2013). Selon Lucas & Norbury (2015), des déficits concernant entre autres le vocabulaire et la mémoire de travail étant présents chez bon nombre d’enfants atteints d’un trouble du langage, il n’est pas étonnant que ces derniers éprouvent des difficultés à répondre à des questions qui exigent de faire des inférences. L’étude de ces derniers a d’ailleurs démontré que la connaissance du vocabulaire et la mémoire de travail étaient des indicateurs significatifs de la compréhension des inférences. Bien que de bonnes habiletés de compréhension orale constituent un facteur favorable à de bonnes habiletés de compréhension en lecture, mentionnons toutefois que certains lecteurs peuvent présenter des difficultés de compréhension des inférences à l’écrit en l’absence de difficultés de langage oral.

Également, de bonnes habiletés en identification de mots s’avèrent être essentielles à une bonne compréhension des inférences en lecture. Ainsi, les jeunes lecteurs aux prises avec des difficultés en identification de mots, comme les enfants dyslexiques ou certains enfants présentant un trouble du langage oral, sont donc nécessairement en difficulté pour comprendre un texte écrit. En effet, lorsque l’identification de mots n’est pas suffisamment automatisée, le lecteur ne peut allouer une attention suffisante à des opérations de haut niveau, telle la compréhension écrite. Ceci étant dit, la reconnaissance précise et rapide des mots constitue une condition nécessaire mais non suffisante de la compréhension en lecture (Stanké, 2006). Certains enfants présentent effectivement des difficultés de compréhension écrite sans pour autant éprouver des difficultés à identifier les mots écrits.

Par ailleurs, il va de soi qu’un lecteur qui ne possède pas les connaissances nécessaires concernant un sujet traité dans un texte éprouvera des difficultés à effectuer des inférences. Toutefois, il se peut également que même en présence de bonnes connaissances, un lecteur éprouve tout de même des difficultés à générer des inférences en lecture. C’est le cas par exemple des enfants qui présentent un trouble du langage et qui n’utilisent pas de manière efficace leurs connaissances pour répondre à des questions d’inférence (Gillam, 2007, cité dans Green & Roth, 2013).

Enfin, les difficultés à répondre à des questions d’inférences en lecture pourraient également s’expliquer par le fait que certains lecteurs parviendraient à produire des inférences, mais auraient tendance à tenir fermement à leur hypothèse de départ, même en présence de données contradictoires (Giasson, 2011). En d’autres mots, ces lecteurs arriveraient à se créer une image mentale à l’aide des informations lues, mais ne réussiraient pas à modifier cette image au fur et à mesure que de nouvelles informations seraient données dans le texte, ce qui engendrerait des difficultés de compréhension.

En conclusion, de nombreux lecteurs éprouvent des difficultés à répondre à des questions d’inférences en lecture, c’est-à-dire des questions dont les réponses ne se retrouvent pas mot pour mot dans le texte. L’entrainement des habiletés à effectuer des inférences devrait donc commencer très tôt au primaire et devrait prendre une place importante dans l’enseignement. De plus, en comprenant bien la façon dont se déroule le processus d’inférence et en identifiant les causes sous-jacentes aux difficultés à effectuer des inférences, les intervenants seront en mesure de mieux déterminer leurs objectifs d’intervention auprès des enfants aux prises avec de telles difficultés.

Références

Giasson, J. (1990). La compréhension en lecture. Montréal : Gaétan Morin Éditeur.

Giasson, J. (2011). La lecture. Apprentissage et difficultés. Montréal : Gaétan Morin Éditeur.

Green, L. B., & Roth, K. L. (2013). Increasing Inferential Reading Comprehension Skills : A Single Case Treatment Study. Canadian Journal of Speech-Language Pathology and Audiology, 37(3), 228-239.

Lombello, C., & Roux, C. (2011). Effet d’un entraînement ciblant les inférences pragmatiques sur la compréhension en lecture d’enfants de CE2 (Mémoire présenté pour l’obtention du certificat de capacité d’orthophoniste). Université Claude Bernard Lyon 1.

Lucas, R., & Norbury, C. F. (2015). Making Inferences From Text: It’s Vocabulary That Matters. Journal of Speech, Language and Hearing Research, 58(4), 1224-1232.

Stanké, B. (2006). La compréhension de textes. Rééducation orthophonique, 227, 45-54.

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