L’évaluation des habiletés inférentielles chez les enfants d’âge préscolaire qui sont en difficultés langagières

10/01/2018 14:02:03

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Dans un précédent billet, Paméla Filiatrault-Veilleux abordait l’importance de stimuler la compréhension des inférences pendant la petite enfance compte tenu de son rôle critique dans la compréhension en lecture à l’âge scolaire (Bianco et al., 2012; Botting & Adams, 2005; Ford & Milosky, 2003; Kendeou, van den Broek, White, & Lynch, 2009; van den Broek et al., 2005). Elle mentionnait également qu’en utilisant une méthode adaptée à la réalité des tout-petits qui n’ont pas encore appris à lire, il était possible d’évaluer et d’intervenir sur cette habileté dès un très jeune âge. De fait, dès l’âge de 3 ans l’enfant démontre des habiletés inférentielles émergentes qui peuvent être mesurées à travers la lecture partagée (Filiatrault-Veilleux, Bouchard, Trudeau, & Desmarais, 2015, 2016; Filiatrault-Veilleux, Desmarais, Bouchard, Trudeau, & Leblond, 2016). Ce type d’activité où l’adulte pose des questions à l’enfant pendant qu’il lui lit l’histoire serait en effet la méthode à privilégier (Blanc, 2010; van Kleeck, 2008).

Les questions visant la compréhension des éléments de la grammaire d’un récit, qui font appel à des inférences causales, sont généralement comprises précocement par les jeunes enfants, soit dès l’âge de 3 ou 4 ans (Filiatrault-Veilleux et al., 2015, 2016; Makdissi & Boisclair, 2006; Wenner, 2004). C’est donc ce type d’inférences qu’il est pertinent de viser auprès des plus petits. Ainsi, pendant la lecture d’une histoire, un adulte pourrait par exemple questionner l’enfant sur l’émotion vécue par le personnage, sur ce qu’il devrait faire ensuite ou sur son but dans l’histoire. Avant son entrée à l’école, un jeune enfant serait généralement en mesure de répondre de plus en plus adéquatement à ce type de questions inférentielles (Filiatrault-Veilleux et al., 2016).

Toutefois, malgré un soutien optimal pendant la petite enfance, certains tout-petits éprouvent des difficultés à faire des inférences. En effet, il a été soulevé à maintes reprises que les enfants ayant un trouble développemental du langage présentent des difficultés à comprendre des inférences (notamment Adams, Clarke, & Haynes, 2009; Botting & Adams, 2005; Bowyer-Crane & Snowling, 2005). Étant donné que la compréhension inférentielle est une habileté centrale, voire critique, dans le développement subséquent de la lecture (Bianco et al., 2012; Botting & Adams, 2005; Ford & Milosky, 2003; Kendeou et al., 2009; van den Broek et al., 2005), ces difficultés constituent un important facteur de risque à prendre en considération chez ces jeunes enfants.

Or l’évaluation de la compréhension inférentielle en langage oral continue de demeurer un réel défi pour les professionnels et les intervenants s’y intéressant. Avec raison, car la compréhension d’inférences est un construit très complexe et il est difficile de l’isoler d’autres variables et habiletés langagières et cognitives. Ces variables sont d’autant plus compliquées à évaluer et à prendre en compte auprès d’une clientèle d’enfants en difficulté, puisque n’importe laquelle d’entre elles pourrait être déficitaire et, par conséquent, entrainer une faible performance de compréhension inférentielle (Adams et al., 2009; Caccamise & Snyder, 2005; Cain, Oakhill, & Bryant, 2004; Kendeou et al., 2005, Florit, Roch et Levorato, 2014). Ainsi, auprès d’un jeune enfant présentant des difficultés à faire des inférences, l’intervenant doit s’interroger sur les autres habiletés et processus langagiers et cognitifs pouvant contribuer à la faible compréhension d’inférences (Adams et al., 2009; Bishop, 1997). Parmi les causes possibles, on note :

  • Un vocabulaire limité;
  • Des difficultés de compréhension de la grammaire qui nuisent au traitement de la phrase : il a en effet été démontré que les enfants présentant un trouble développemental du langage allouent des capacités de traitement et du temps à l’interprétation de la forme de surface de la phrase aux dépens du traitement du contexte (Adams et al., 2009).
  • Des limitations de la mémoire de travail : les enfants ayant des difficultés de compréhension en lecture présentent souvent des capacités de mémoire de travail moins efficaces que leurs pairs (Norbury, Bishop et Briscoe, 2002)
  • Des difficultés d’accès aux connaissances antérieures : les connaissances préalables sont indispensables pour générer des inférences et comprendre un texte (Adams et al., 2009; Bishop, 1997).
  • Des ressources attentionnelles limitées (Montgomery & Evans, 2009).
  • De la difficulté à inhiber les informations qui ne sont pas pertinentes à la compréhension.
  • De la difficulté à construire des représentations mentales complètes (Bishop, 1997).
  • De la difficulté à sélectionner les informations qui sont pertinentes pour faire une inférence (Cain et al., 2001).

En résumé, pour être en mesure de faire une inférence à partir du langage oral entendu, un enfant doit jongler avec une variété d’habiletés langagières et cognitives. Ainsi, lors de l’évaluation de la compréhension inférentielle de celui-ci, l’intervenant doit considérer les autres variables potentiellement contributoires. Quel est le niveau de vocabulaire réceptif de l’enfant? Comprend-il les mots de vocabulaire importants du texte ou de l’histoire? Quel est son niveau d’habileté de compréhension de phrases? Quelles sont les connaissances de l’enfant en lien avec le sujet ou l’histoire présentée? Quelles sont les stratégies utilisées par l’enfant pour sélectionner l’information pertinente? Ces questions sont indispensables et permettent de mieux cerner les difficultés de compréhension.

Références

Adams, C., Clarke, E., & Haynes, R. (2009). Inference and sentence comprehension in children with specific or pragmatic language impairments. International Journal of Language & Communication Disorders, 44(3), 301-318. doi: 10.1080/13682820802051788

Bianco, M., Pellenq, C., Lambert, E., Bressoux, P., Lima, L., & Doyen, A.-L. (2012). Impact of early code-skill and oral-comprehension training on reading achievement in first grade. Journal of Research in Reading, 35(4), 427–455. doi: 10.1111/j.1467-9817.2010.01479.x

Bishop, D. V. M. (1997). Uncommon understanding: Development and disorders of language comprehension in children. Hove, UK: Psychology Press.

Blanc, N. (2010). La compréhension des contes entre 5 et 7 ans : Quelle représentation des informations émotionnelles? [The comprehension of the tales between 5 and 7 year-olds: Which representation of emotional information?]. Canadian Journal of Experimental Psychology/Revue canadienne de psychologie expérimentale, 64(4), 256-265. doi: 10.1037/a0021283

Botting, N., & Adams, C. (2005). Semantic and inferencing abilities in children with communication disorders. International Journal of Language & Communication Disorders, 40(1), 49-66. doi: 10.1080/13682820410001723390

Bowyer-Crane, C., & Snowling, M. J. (2005). Assessing children’s inference generation: what do tests of reading comprehension measure? The British Journal of Educational Psychology, 75(Pt 2), 189-201. doi: 10.1348/000709904X22674

Cain, K. E., Bryant, P. E., & Oakhill, J. (2004). Children’s reading comprehension ability: Concurrent prediction by working memory, verbal ability, and component skills. Journal of Educational Psychology, 96(1), 31-42. doi: 10.1037/0022-0663.96.1.31

Cain, K., Oakhill, J. V., Barnes, M. A., & Bryant, P. E. (2001), Comprehension skills, inference-making ability and their relation to knowledge. Memory and Cognition, 29, 850–859.

Filiatrault-Veilleux, P., Bouchard, C., Trudeau, N., & Desmarais, C. (2015). Inferential comprehension of 3-6-year-olds within the context of story grammar: A scoping review. International Journal of Language and Communication Disorders. 50(6): 737-749. doi: 10.1111/1460-6984.12175

Filiatrault-Veilleux, P., Bouchard, C., Trudeau, N., & Desmarais, C. (2016). Comprehension of Inferences in a Narrative in 3- to 6-Year-Old Children. Journal of Speech, Language, and Hearing Research, 59(5):1099-1110. doi: 10.1044/2016_JSLHR-L-15-0252

Filiatrault-Veilleux, P., Desmarais, C., Bouchard, C., Trudeau, N., & Leblond, J. (2016). Conception et qualités psychométriques d’un outil d’évaluation de la compréhension d’inférences en contexte de récit chez des enfants âgés de 3 à 6 ans. Canadian Journal of Speech-Language Pathology and Audiology/Revue canadienne d’orthophonie et d’audiologie, 40(2), 149-163. Repéré à file:///C:/Users/CaroL/Downloads/CJSLPA_2016_Vol_40_No_2_Filiatrault-Veilleux_149-163%20(1).pdf

Florit, E., Roch, M., & Levorato, C. (2014). Listening text comprehension in preschoolers: A longitudinal study on the role of semantic components. Reading and Writing, 27(5), 793-817. .doi . 10.1007/s11145-013-9464-1.

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Kendeou, P., van den Broek, P., White, M. J., & Lynch, J. S. (2009). Predicting Reading Comprehension in Early Elementary School: The Independent Contributions of Oral Language and Decoding Skills. Journal of Educational Psychology, 101(4), 765-778. doi: 10.1037/a0015956

Makdissi, H., & Boisclair, A. (2006). Interactive reading: A context for expanding the expression of causal relations in preschoolers. Written Language & Literacy, 9(2), 177-211. doi: 10.1075/wll.9.2.02mak

Montgomery, J. W., & Evans, J. L. (2009). Complex sentence comprehension and working memory in children with specific language impairment. Journal of Speech, Language, & Hearing Research, 52(2), 269-288. doi: 10.1044/1092-4388(2008/07-0116)

Norbury, C. F., Bishop, D.V.M., & Briscoe, J. (2002). Does impaired grammatical comprehension provide evidence for an innate grammar module? Applied Psycholinguistics, 23, 247–268.

van den Broek, P., Kendeou, P., Kremer, K., Lynch, J. S., Butler, J., White, M. J., & Lorch, E. P. (2005). Assessment of comprehension abilities in young children. Dans S. Stahl & S. Paris (Éds), Children’s Reading Comprehension and Assessment (pp.107-130). Mahwah, NJ: Erlbaum.

Van Kleeck, A. (2008). Providing preschool foundations for later reading comprehension: The importance of and ideas for targeting inferencing in storybook-sharing interventions. Psychology in the Schools, 45(7), 627-643. doi: 10.1002/pits.20314

Wenner, J. A. (2004). Preschoolers’ comprehension of goal structure in narratives. Memory, 12(2), 193-202. doi: 10.1080/09658210244000478

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