Un lien entre la musique et les habiletés sociales ?

20/02/2019 16:15:00

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Au moment où les enfants entrent à la maternelle, les habiletés sociales jouent un rôle crucial dans leur vie. En effet, les jeunes enfants qui possèdent de meilleures compétences sur les plans affectif et social semblent mieux s’adapter à la vie scolaire que ceux qui démontrent de moins bonnes habiletés sociales (Duval et Bouchard, 2013). Malheureusement, les données de l’Enquête québécoise sur le développement des enfants de la maternelle 2017 révèlent qu’un peu plus de 10 % des élèves d’âge préscolaire sont vulnérables du point de vue de la maturité affective et des compétences sociales (Simard, Lavoie et Audet, 2018). En ce sens, il importe de s’intéresser à ce qui peut être mis en place afin de soutenir le développement social et émotionnel des enfants, et ce, dès leur plus jeune âge. 

Ce billet résume quelques recherches ayant examiné l’apport de la pratique de la musique sur le développement des compétences prosociales des enfants[1]. D’abord, l’effet d’interventions musicales de courte durée sera discuté. Ensuite, l’apport de la participation à un programme d’éducation musicale en milieu scolaire sera présenté. 

Les interventions musicales de courte durée

Un nombre grandissant d’études suggèrent que la pratique de certaines activités musicales, lorsqu’elles sont faites en synchronie, encouragerait l’adoption de comportements d’entraide et de coopération dès la petite enfance. Cirelli, Einarson et Trainor (2014) ont proposé à des enfants âgés de 14 mois (n=48) de bouger en écoutant une mélodie (Twist and Shout). L’enfant, soutenu par un assistant, faisait face à l’expérimentateur. Au son de l’extrait musical d’une durée de deux minutes trente secondes, l’assistant et l’expérimentateur fléchissaient les genoux (bouncing) selon l’une des deux conditions suivantes: 1) de façon synchrone; 2) de façon asynchrone. À la suite de l’intervention, l’administration de trois tâches a permis d’observer la fréquence des comportements d’entraide adoptés par les enfants. Les résultats indiquent que les enfants la condition 1 avaient tendance à démontrer davantage de comportements d’entraide que ceux de la condition 2 et qu’ils étaient significativement plus enclins à le faire de façon spontanée (en moins de dix secondes)[2]. Bouger en synchronie au son d’un court extrait musical encouragerait l’enfant à aider l’adulte avec qui il a partagé ce moment. 

Plus récemment, Tunçgenç et Cohen (2018) ont cherché à savoir si ce phénomène pouvait également s’observer entre deux enfants du même âge. Pour ce faire, 76 dyades d’enfants âgés de 4 à 6 ans ont été aléatoirement réparties selon l’une des conditions suivantes: 1) frapper des mains au son d’une pulsation, de façon synchrone aux mouvements de l’enfant installé devant lui; 2) frapper des mains au son d’une pulsation, de façon asynchrone aux mouvements de l’enfant installé devant lui. À la suite de l’expérimentation, l’administration d’une tâche d’entraide a permis de mesurer le nombre de comportements d’entraide adoptés par les enfants. Les résultats indiquent que les enfants soumis à la condition 1 adoptaient significativement plus de comportements d’entraide que ceux de la condition 2. De plus, ils se montraient plus souriants et établissaient plus de contacts visuels avec leur partenaire.  

Ces résultats suggèrent que le fait de coordonner ses mouvements sur une pulsation établie encourage le développement de comportements prosociaux très tôt dans la vie de l’enfant. La prévisibilité des mouvements synchrones permet probablement à l’enfant d’être plus disponible aux interactions qui lui sont proposées, que ce soit avec un adulte ou avec un autre enfant. Sur la base de ces résultats, il semble pertinent, dans la pratique, de proposer à un groupe d’enfants de frapper des mains ou de se déplacer au son de la musique, en suivant le tempo. 

L’enseignement de la musique en milieu scolaire

D’autres études se sont intéressées aux effets de l’enseignement de la musique en milieu scolaire sur le développement des compétences sociales des enfants. À titre d’exemple, Rabinowitch, Cross et Burnard (2012) ont conçu et implanté un programme d’éducation musicale visant le développement de l’empathie chez les enfants de 8 à 11 ans. Ce programme proposait une heure d’activités musicales interactivespar semaine (imitation, improvisation, composition). En début et en fin d’année scolaire, un questionnaire mesurant l’empathie a été administré aux enfants des groupes expérimental (n=23) et témoins (n=29). Les analyses statistiques réalisées à partir des résultats de ce questionnaire indiquent une augmentation significative de l’empathie chez les enfants du groupe expérimental, contrairement aux résultats des enfants des groupes témoins. 

Dans un autre contexte, Schellenberg, Corrigall, Dys et Malti (2015) ont mesuré l’impact de la participation à un programme d’enseignement de la musique sur le développement de différentes  habiletés prosociales (entraide, partage et résolution de problèmes). Pendant dix mois, une fois par semaine, des activités liées à la formation auditive, à la notation musicale, à la lecture à vue et à l’interprétation musicale (voix et ukulélé) ont été proposées aux enfants du groupe musique. Les résultats d’un questionnaire administré à ces derniers (n=38) et à ceux du groupe témoin (n=46) en début et en fin d’année indiquent que la participation au programme d’enseignement de la musique aurait significativement favorisé le développement prosocial des enfants présentant de faibles habiletés sociales en début d’année scolaire. Néanmoins, cet effet n’était pas significatif chez les enfants qui manifestaient de bonnes habiletés sociales au moment du prétest.

En somme, qu’elle soit proposée dès la petite enfance ou à l’âge scolaire, la pratique de la musique semble soutenir le développement des compétences prosociales des enfants. Cependant, les effets associés à la pratique d’activités musicales dans le cadre d’un programme implanté en milieu scolaire peuvent varier selon différentes conditions. Les activités musicales interactives (imitation et improvisation) seraient plus efficaces que d’autres activités musicales (formation auditive et lecture à vue). Les enfants à qui l’on s’adresse semblent également être à considérer : la participation à un programme d’éducation musicale proposant des activités musicales interactives pourrait avoir une incidence plus grande chez ceux qui présentent des difficultés d’ordre relationnel. 

Références

Bouchard, C., Coutu, S. et Landry, S. (2012). Le développement de la prosocialité. Dans J-P. Lemelin, M. A. Provost, G. M. Tarabulsy, A. Plamondon et C. Dufresne (dir.)., Développement social et et émotionnel chez l'enfant et l'adolescent. Les bases du développement (p.385-425). Québec: Presses de l'Université du Québec.

Cirelli, L. K., Einarson, K. M. et Trainor, L. J. (2014). Interpersonal synchrony increases prosocial behavior in infants. Developmental Science, 17(6), 1003-1011.

Duval, S. et Bouchard, C. (2013). Soutenir la préparation à l’école et à la vie des enfants issus de milieux défavorisés et des enfants en difficultéQuébec, Québec: Ministère de la Famille.

Rabinowitch, T.-C., Cross, I. et Burnard, P. (2012). Long-term musical group interaction has a positive influence on empathy in children. Psychology of Music, 41(4), 484-498.

Schellenberg, E. G., Corrigall, K. A., Dys, S. P. et Malti, T. (2015). Group music training and children's prosocial skills. PLoS One, 10(10), 1-14.

Simard, M., Lavoie, A. et Audet, N. (2018). Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle 2017. Québec, Québec: Institut de la statistique du Québec. 

Tunçgenç, B. et Cohen, E. (2018). Interpersonal movement synchrony facilitates pro-social behavior in children's peer-play. Developmental Science21(1), 1-9.


[1]La prosocialité correspond aux comportements sociaux posés pour le bien d’autrui ou pour le partage de coûts et de bénéfices avec autrui (Bouchard, Coutu et Landry, 2012). 

[2]Dans cette expérience, le comportement d’entraide attendu était de récupérer un objet échappé par l’adulte et de le lui tendre. 

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