Utiliser la morphologie dérivationnelle comme stratégie pour lire et écrire (deuxième partie)

31/08/2016 10:57:50

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La semaine dernière, un premier billet abordait la morphologie dérivationnelle et plus particulièrement les connaissances relationnelles, syntaxiques et distributionnelles. Ces connaissances sont associées à différents niveaux de complexité et de compréhension de la structure morphologique des mots. Comme une grande majorité (80 %) des mots sont constitués de plusieurs morphèmes (Rey-Deboves, 1984), ces connaissances sont importantes pour lire et pour écrire. Le billet de cette semaine souligne l’importance d’enseigner la morphologie dérivationnelle aux élèves, et spécialement à ceux en difficulté. Pour conclure, quelques pistes didactiques sont proposées pour enseigner la morphologie dérivationnelle.

 

Pourquoi enseigner la morphologie dérivationnelle?

Au fil de leur développement, les élèves acquièrent des connaissances morphologiques par un apprentissage implicite, sans enseignement particulier, par exemple lorsqu’ils lisent un livre. Toutefois, les élèves n’ont pas tendance à utiliser d’emblée la structure et les règles morphologiques à l’écrit (Pacton, Fayol, & Perruchet, 2005). Les élèves, particulièrement ceux en difficulté, ont donc besoin d’un coup de pouce supplémentaire et d’un soutien intensif pour utiliser la morphologie comme stratégie efficace en lecture et en écriture.

Comme l’ont souligné de nombreuses études (voir notamment National Reading Panel, 2000), les élèves ayant des difficultés en lecture-écriture ont généralement comme caractéristique commune de faibles habiletés en conscience phonologique. Ainsi, manipuler adéquatement les unités phonologiques pour lire et écrire est une lourde tâche pour eux. Toutefois, il s’avère que chez ces élèves, notamment ceux présentant une dyslexie, les habiletés en conscience morphologique seraient supérieures à celles en conscience phonologique (Casalis, Mathiot, Becavin, & Colé, 2003; Deacon, Parrila, & Kirby, 2008). Il serait donc pertinent de tirer avantage de cette force.

En enseignant explicitement la structure morphologique des mots, les élèves sont amenés à traiter des unités phonologiques plus grandes qui sont reliées au sens (les morphèmes). S’appuyer sur ces unités devient alors une stratégie compensatoire qui peut s’avérer efficace auprès des élèves en difficulté, comme l’ont montré plusieurs travaux de recherche (voir entre autres Chapleau, 2013 et Casalis, Colé, & Sopo, 2004).

De manière plus précise, un élève ayant développé de bonnes connaissances morphologiques repère plus aisément des morphèmes connus à l’intérieur d’un mot (ex. : le suffixe –ette dans le mot clochette). D’une part, cela l’aide à identifier le mot écrit, mais aussi à en déduire le sens. D’autre part, en connaissant la signification et l’orthographe du suffixe, il produit avec une plus grande précision le suffixe –ette et peut centrer davantage son attention sur la production de la base (cloche), diminuant ainsi la charge cognitive.

En somme, les élèves ont besoin d’être exposés de façon fréquente aux mots (mots de base et motsconstruits) et de travailler leurs connaissances morphologiques à l’oral et à l’écrit pour faciliter un accès et un encodage de qualité en mémoire. Toutefois, on peut se demander comment enseigner la morphologie dérivationnelle.

 

Quelques pistes didactiques pour enseigner la morphologie dérivationnelle

Carlisle (2010) rapporte, à la suite d’une recension des écrits, différentes avenues à envisager pour enseigner les connaissances en morphologie dérivationnelle. D’abord, elle propose d’utiliser des tâches de décomposition, de dérivation et de jugement de relation de mots. Ces tâches amorcent le travail en conscience morphologique et développent en particulier les connaissances relationnelles. Celles-ci représentent un tremplin intéressant pour développer les connaissances morphologiques, mais elles demeurent insuffisantes pour aider les élèves à devenir de véritables analystes morphologiques! Voici quelques exemples de tâches :

Tâches de décomposition

  • Trouver les morphèmes dans un mot (trouver les petits mots dans le grand mot);

  • Trouver le morphème commun (base ou affixe) dans une liste de mots (ex. : laitier, laitage, laiterie, allaiter, laiteux, allaitement).

Tâches de dérivation et de jugement de relation de mots:

  • À partir d’un mot de base, demander aux élèves de trouver des mots dérivés (ex : mot de base port: portatif, porteur, importer, exporter, portée, support, portable, aéroport, transport, etc.);

  • Juger de la relation morphologique entre des mots (ex. : est-ce que lait et laitier font partie de la même famille morphologique?);

  • Trouver l’intrus dans une liste de mots (ex. : venteux, venter, inventer, paravent).

Carlisle (2010) propose ensuite des tâches d’identification du sens de la base et des affixes. Celles-ci correspondent à un enseignement explicite du sens des affixes et de la base. Elles sont également une façon intéressante de développer le vocabulaire des élèves. Ce type d’activité est fort pertinent, car la connaissance du sens des morphèmes est utile pour identifier et produire un mot écrit.

Enfin, Carlisle (2010) affirme que l’un des aspects importants à considérer lors de l’enseignement de la morphologie dérivationnelle est de placer les élèves en mode résolution de problèmes. Cette pratique incite les élèves à réfléchir sur la manière dont les morphèmes contribuent au sens et au rôle grammatical du mot. De cette façon, elle fournit des assises pour l’analyse morphologique de mots non familiers. Voici quelques exemples d’activités comportant des solutions à formuler :

  • À partir d’une liste de mots, trouver les aspects communs sur le plan morphologique (favorise le raisonnement analogique);

  • Créer des pseudomots à partir d’affixes connus;

  • Examiner le changement de sens lorsqu’un mot de base est utilisé dans différents mots construits.

En conclusion, il importe de travailler les diverses connaissances morphologiques à travers de multiples activités qui amènent les élèves à se questionner, à analyser et à utiliser la structure morphologique des mots. Avec la pratique, les élèves gagneront en confiance et auront de plus en plus recours à leurs connaissances morphologiques pour identifier et produire des mots écrits.

 

Références

Carlisle, J. (2010). Effects of Instruction in Morphological Awareness on Literacy Achievement: An Integrative Review. Reading Research Quarterly, 45(4), 464–487.

Casalis, S., Colé, P., & Sopo, D. (2004). Morphological awareness in developmental dyslexia. Annals of Dyslexia, 54(1), 114-138.

Casalis, S., Mathiot, E., Becavin, A. S., & Colé, P. (2003). Conscience morphologique chez des lecteurs tout venant et en difficultés. Silexicales, 3, 57-66.

Chapleau, N. (2013). Effet d’un programme d’intervention orthopédagogique sur la conscience morphologique et la production de mots écrits chez des élèves présentant une difficulté spécifique d’apprentissage de la lecture-écriture (Thèse de doctorat inédite). Université du Québec à Montréal, Québec.

Deacon, S. H., Parrila, R., & Kirby, J. R. (2008). A review of the evidence on morphological processing in dyslexics and poor readers: A strength or weakness? Dans F. Manis, A. Fawcett, G. Reid, & L. Siegel (Éds), The Sage handbook of dyslexia (pp. 212-237). London: Sage.

National Reading Panel. (2000). Teaching children to read: an evidence-based assessment of the scientific research literature on reading and its implications for reading instruction: Reports of the Subgroups. Bethesda, MD: National Institute of Child Health and Human Development.

Pacton, S., Fayol, M., & Perruchet, P. (2005). Children’s implicit learning of graphotactic and morphological regularities. Child Development, 76, 324-329.

Rey-Debove, J. (1984). Le domaine de la morphologie lexicale. Cahiers de lexicologie, 45, 3-19.

Crédit photo: Shutterstock

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